Vue générale
Fontaine grecque |
Fener (Phanar en français), est un quartier
historique situé de part et d'autre de l'axe
Unkapanı-Eyüp
et limité d'un côté par Cibali de l'autre le
Balat,
au sud de la
Corne d'Or,
dans
la municipalité de Fatih.
Les accès par la
muraille
qui jouxte Fener se font à travers Aya Kapısı,
Fener Kapısı et Balat Kapısı.
Le redécoupage des quartiers de la plupart des
mairies stambouliotes, a fait disparaître les
noms et les quartiers historiques (Taksim,
Galatasaray,
Tünel,
Eminönü,
Laleli,
Nişantaşı, etc.). C’est aussi le cas
pour Fener qui n’existe officiellement plus. Son
territoire a été partagé idiotement entre les
quartiers de
Balat et, pour
une toute petite partie recouvrant le domaine du
patriarcat orthodoxe, Yavuz Selim, dont le point
central,
la mosquée impériale,
a été attaché à Balat.
Seulement des incultes pouvaient être capables
d’un tel exploit. Nous feront donc abstraction
de ce découpage malheureux pour la description
qui suit.
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La Grande Ecole (Büyük Okul / Megali Scholi)
domine tout le quartier
Rum signifie Romain. Le nom "rum"
indiquait aux XIIe et XIIIe siècles le
territoire et les populations de l'Asie Mineure.
Mais après le XIVe siècle, on commença à
utiliser le mot "rum" pour désigner
seulement la population orthodoxe de l'Etat
ottoman dépendant du patriarcat
constantinopolitain, cela sans que cela désigne
une appartenance ethnique et qui concernait les
Grecs, les Turcs, les Bulgares, les Valaques,
les Serbes, les Roumains, etc. De nos jours en
Turquie, on utilise encore le nom de « rum »
pour les orthodoxes du pays, toujours sans
connotation ethnique, bien que la langue grecque
est exclusivement enseignée dans les écoles « rum »
ainsi qu’exclusivement utilisée dans les églises
« rum ». Cela concerne tout le territoire
national a l’exception
du Hatay (Antioche /
Alexandrette) où l’arabe supplante le grec.
Cette mise au point était nécessaire pour
comprendre que lorsqu’on parle des
« Grecs » dans
le texte ci-dessous, il faut comprendre
« orthodoxes
de Turquie » et non des Grecs de Grèce que seuls les Occidentaux appellent comme
ça.
Vue du Phanar vers 1940, au loin
le
sérail de Topkapı
Après la conquête
de Constantinople par les Ottomans, le
Sultan Mehmet II encouragea
l'installation à Istanbul des Rum (Grecs) venus d'Asie Mineure et de
Thrace et qui donnèrent les noms de leurs propres domaines aux endroits où ils
firent souche dans la ville. De même, les familles aristocratiques de Byzance
ayant émigré dans les îles de la mer Egée, dans le Péloponnèse et autres régions
de l'Europe du Sud, furent autorisées à revenir s'installer à Istanbul.
Gennadios Solarius (dit aussi Genedos) fut élu patriarche de cette communauté et
l'Eglise orthodoxe, qui avait
auparavant subi l'invasion des Latins, fut préservée et renforcée tout comme la
langue grecque qui aurait pu totalement disparaître du territoire de l’empire, à
l’instar du latin en Europe occidentale.
Le sultan Mehmet II le Conquérant et le patriarche de
Constantinople et de la Nouvelle-Rome, proclamation du
"Millet" romain (Rum Milleti ou Nation romaine), 1453 |
Phanar (Fener en turc) date de
l'époque byzantine, lorsqu’un phare indiquant ce
port de la Corne d'Or se trouvait sur une petite
tour de la muraille.
En 1603 le patriarcat s'installe définitivement
à Fener où environ 3% des habitants sont les
descendants des plus nobles familles de l'ancien
Empire byzantin
(Zerra, Cantacuzène,
Hangerli, Lascaris,
Mavrocordato, Hrisoverghi, Paléologue,
Mourousi, Souldjaroglou, Rizo-Rangavi, Ypsilanti,
Argyropoulos, Chrisoscoleo, Gheraki, Vatatzès, Ralli,
Giritli-Palada,
etc. - une cinquantaine de familles),
les autres étant des Grecs
originaires d’Anatolie pour la plupart.
Ce sont des Grecs aristocrates de Morée, de
Thassos, de Samothrace et d’Izmir,
mais aussi des Albanais comme la famille Ghica, des Levantins (Rosetti),
des Valaques (Callimachi) ou des Roumains (Vacarescu, Racovica),
que les
Européens (Génois surtout) appellent les
"Phanariotes".
Les sultans ottomans désignèrent comme
gouverneurs
(hospodars)
des territoires acquis (Moldavie,
Valachie, Samos), des
familles phanariotes
qui étaient aussi les interprètes
officiels de l’Etat (Grands Dragomans de
1661 à 1821)
avant d’être remplacés par
des
Juifs
et des
Arméniens.
Il y
eut
parmi eux,
des
personnalités
comme Mavrocordato ou Spatharis qui obtinrent
des grades supérieurs auprès du gouvernement de
l'empire.
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Les demeures seigneuriales laissées par les
ambassadeurs des pays étrangers furent occupées
par cette nouvelle société gréco-ottomane.
Le Grand
Patriarche de Jérusalem et le Grand
Saint du Sinaï avaient aussi leur siège à Fener.
Les privilèges des Phanariotes furent supprimés
quand ceux-ci prirent une part active dans la
guerre d’indépendance de la Grèce (1821-1830),
entrainant également la bourgeoisie de la ville
d’Odessa. Les grandes familles de ces deux
villes financèrent le mouvement de rébellion
aidé également par des puissances étrangères
(Grande-Bretagne, France, Russie) qui comptaient
bien en retirer des avantages territoriaux aux
dépens de l’Empire ottoman. La famille
phanariote Ypsilanti tenta même de soulever les
Moldaves et les Valaques, sans succès. Ils
furent bannis du territoire ottoman et leurs
biens confisqués. Leur
palais à Tarabya
a été
donné à la France par le sultan, alors que
celle-ci avait profité de l’affaiblissement de
l’empire avec la révolte grecque, pour envahir
l’Egypte ottomane.
Ci-contre :
Alexandre Ypsilanti (ou Alexandros
Ypsilantis en grec, ou Alexandru İpsilanti en valaque. Ses conspirations contre
l’Etat ottoman lui valurent d’être banni de l’empire, une confiscation de ses
biens et une excommunication par le patriarche Grégoire V. Il est mort en exil à
Vienne en 1828.
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Naturellement, le patriarcat qui voyait déjà une
reconstitution de l’Empire byzantin à travers le
soulèvement de l’Attique, contribua aussi aux
intrigues contre l’Etat. Le patriarche fut pendu
à la porte de son palais qui est restée close
depuis lors, en signe de deuil.
Pendaison du patriarche Demètre Hangerli en 1821
Après 1830, les familles bourgeoises phanariotes
ne jouèrent plus un rôle capital même pour le
quartier. Plusieurs avaient choisi de
s’installer dans d’autres quartiers grecs et
même dans
le quartier latin de Péra, ce qui
était très mal vu par les Grecs qui ont toujours
préférés la proximité des musulmans plutôt que
des Latins, souvenirs des blessures de
l’invasion croisée de 1204.
La désertion du quartier par la bourgeoisie
orthodoxe n’empêcha guère le développement de
celui-ci. On y trouvait des artisans de toutes
sortes et des pêcheurs. Au milieu du XIXe siècle
déjà, il existait plusieurs petites fabriques et
des ateliers sur les berges de
la Corne d’Or,
qui employaient presqu’exclusivement des
ouvriers ou des ouvrières grecs.
L’assainissement des rives dans les années 1980,
a fait disparaître les témoins de l’ère
industrielle du Fener.
Phanar vers 1930
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Kulurakya
lambriyatika
(Koulourakia
lambriatika)
Le Koulourakia lambriatika est un
biscuit
typique de Pâques. |
Ce
qu'il vous faut :
·
1kg 750g de farine
·
125 g de beurre
·
250 g de sucre
·
125 ml de lait
·
3 œufs
·
1 sachet de levure
·
Le zeste d'un citron
·
300 g d'amandes mondées
·
1 œuf battu pour dorer les biscuits
Comment faire ?
*
Travailler le beurre ramolli de
façon à obtenir une pommade
*
Ajouter la farine et le lait en
mélangeant bien
*
Ajoutez ensuite les œufs, la
levure, le zeste de citron et le sucre.
*
Mélanger pour obtenir une pâte
assez molle
*
Abaisser la pâte au rouleau sur 1
cm d'épaisseur environ
*
Découper de fines lanières
*
Plier chaque lanière en deux, les
torsader et former un anneau
*
Saupoudrer les anneaux d'amandes
*
Poser les biscuits sur une plaque
de cuisson et faire cuire 15 à 20 mn à four
moyen (180° C)
*
Laisser refroidir avant de les
servir durant la fête de Pâques
|
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Célébration
à l'église des Bulgares, vers 1900 |
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Les débuts de la République (1923) n’ont pas été
faciles pour la vie des Phanariotes qui
restaient très méfiants face aux musulmans et
donc, de l’Etat. Le système ottoman des
« Millet » n’avait pas tout à fait disparu et le
fait de ne pas être musulmans ne donnait pas un
sentiment d’appartenance à la nouvelle Nation
turque. Bien que libres de rester à Istanbul et
sur les îles égéennes, contrairement aux
orthodoxes d’Anatolie et de Thrace qui durent
quitter leurs terres selon les accords du Traité
de Lausanne, beaucoup de Phanariotes s’exilèrent
dans les années 1920.
Ci-contre :
Dimitrie
Cantemir (1693-1723), prince de Moldavie a vécu plus de 20 ans dans un
palais de Fener.
Il a été nommé hospodar de Moldavie par le sultan Ahmet III en 1710. Il
œuvra en vain pour l’indépendance de son pays et de la Valachie en
s’alliant
à
la Russie.
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La période qui suivit la Deuxième guerre
mondiale allait être fatale à la communauté
orthodoxe de Fener. D’abord, le quartier
s’appauvrit, car les familles des classes
moyennes émigrèrent dans d’autres quartiers
grecs (Tatavla-Kurtuluş,
Şişli,
Kadıköy,
Fenerbahçe, etc.). Ceux qui restèrent devaient
partager l’espace avec d’autres habitants venus
des campagnes, parfois orthodoxes, mais la
plupart du temps musulmans. Ainsi, dans les
années 1950, le quartier passa à majorité
musulmane, mais l’hémorragie allait continuer de
plus belle avec la dégradation des rapports
entre les Etats grec et turc au sujet
de Chypre
colonisée par les Anglais. Les deux parties
s’accusant mutuellement de vouloir annexer
l’île, elles se servirent de leur minorité
respective en faisant pression sur elles. Dès
1955 et jusqu’en 1974, avec un pic dans les
années 1964-1966, la plupart des Grecs
d’Istanbul s’en allèrent de la ville, laissant à
peine 10% de la communauté orthodoxe sur place.
Support d'enseigne et tour de Galata au
loin |
Electricité Constantinople en ottoman et
en français |
Ancienne réclame en grec |
Emblême byzantin |
Maison grecque de Fener |
Maison byzantine (Bibliotheque de la
Femme) |
Ancienne école bulgare |
Ancienne école grecque |
Les départs ont eu lieu dans la précipitation et
les biens mobiliers ne purent être vendus
normalement, des lois empêchant aussi les
donations aux églises ou aux fondations
religieuses. Il n’était pas possible d’emporter
plus de deux valises et seulement l’équivalent
de 20 dollars en liquide. Les douaniers se
servant encore dans les bagages des réfugiés, on
imagine bien l’état de dénuement dans lequel ils
passaient la frontière.
Les spoliations d’immeubles se sont succédées
pendant cette malheureuse période dans tous les
quartiers, le Fener n’y échappant pas. Les
nouveaux arrivants se sont installés dans les
maisons vides sans demander rien à personne et
surtout pas à l’Etat. Il s’agissait généralement
de musulmans venus d’Anatolie, particulièrement
des régions de la mer Noire, en ce qui concerne
le Fener.
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Des orthodoxes de la région d’Antioche
commencèrent aussi à s’y installer. Bien que de
culture fort différente, ils s’entendaient
généralement bien avec les Grecs restés à Fener
qui avaient la même religion qu’eux.
Ci-contre : brioche du Nouvel-An (Vasilopita
çöreği)
|
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Depuis les années 1980, la communauté grecque a
quasiment disparu à Fener et les orthodoxes qui
y habitent en minorité, ne sont pratiquement que
des gens originaires du Hatay (région
d’Antioche), de langue maternelle arabe. Ce sont
eux qui fréquent les nombreuses églises qui
égrainent les rues du quartier et où la messe
est dite dans une langue qu’ils ne connaissent
pas, le grec.
Les enfants sont plus chanceux
puisqu’ils ont droit à être scolarisés en grec
dans les écoles du quartier ou ailleurs dans la
ville. Ils deviennent donc trilingues (arabe,
grec, turc), ce qui leur donne une chance
supplémentaire de réussite.
Ci-contre
: boîte pour les voeux dans une ayazma (source sacrée) |
Spécialités "roum" |
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Seuls les oeufs teints en rouge sont
consommés par les
orthodoxes aux fêtes de Pâques |
Kokoreç (kokoretsi en grec) intestins
grillés aux piments |
Brioche de Pâques (Tsoureki - Paskalya
çöreği) |
Soupe aux tripes de
l'agneau pascal
(Magiritsa) |
Espadon mariné (Lakerda) |
Kuraviyedis, version "roum" des Kurabiye
turcs |
En général, la population du quartier est
d’origine rurale et très modeste. De vrais
villages se sont reconstitués à Fener et dans
les
quartiers
voisins donnant une touche joyeuse et colorée à
la Corne d’Or. Ces populations - qui ne furent
pas toujours bien acceptées par les
Stambouliotes de souche - donnent une diversité
supplémentaire à la ville.
Le paysage du Fener est marqué par l'immense
lycée grec
(romain) qui domine tout le quartier, notamment
les maisons en pierre, dont celle
du prince
Cantemir. Un peu partout on y trouve
des
églises grecques,
dont certaines remontent à l’époque byzantine (Ste-Marie-des-Mongols,
Saint Dimitri-Canabée)
ainsi que les églises
St-Stéphane-des-Bulgares et
St-Georges-de-Jérusalem. Quelques
tronçons des
murailles
maritimes demeurent. Enfin, le patriarche de
l’Eglise
orthodoxe et de la Nouvelle-Rome à son siège
à Fener,
à côté de l’église St-Georges.
Le patriarcat reste le centre du Monde
orthodoxe. Bien que l’organisation de l’Eglise
ne soit pas similaire à celle des Latins
(catholiques), on peut tout à fait comparer avec
le Vatican. Les Eglises nationales orthodoxes
sont autonomes, mais le point de références
reste Constantinople et le patriarche
Bartholomée Ier. Elles doivent toutes rendre
des comptes, même si quelques unes essaient
depuis des années à s’émanciper, comme celle de
Russie.
Les Eglises d’Orient ont leur propre patriarcat
(Antioche, Jérusalem, Alexandrie), mais comme
elles sont considérées comme dissidentes par
Rome et Constantinople, des patriarches fidèles
à Fener sont également dépendants de ce dernier.
Ces trois patriarcats sont dits « melchites ou
melkites ». Le clergé est généralement hellène,
parfois arabe, et leur nomination doit être
approuvée par le patriarche de Constantinople.
Le
quartier n’est pas vraiment en bon état.
L’UNESCO, l’Union Européenne et
la mairie de Fatih ont mis un plan de restauration sur pied
dans les années 1990. Ce fut complètement raté.
Les propriétaires pouvaient bénéficier d’une
restauration gratuite de leur immeuble, mais
malgré l’aubaine, la plupart refusèrent ayant
surtout crainte de devoir prouver l’appartenance
des immeubles, alors que les spoliations ont été
effectuées a grande échelle dans tout le
quartier.
Environ 10% des bâtiments ont été restaurés,
mais l’entretien inexistant les a fait repasser,
en un temps record,
à
un état de délabrement qui est
à
peine moins grave que les immeubles n’ayant pas
subi une réhabilitation. Un échec total qui est
du notamment
à
la volonté de maintenir les habitants sur place,
dont le niveau culturel et d’instruction sont
fort limités et dont l’Histoire du quartier
n’est pour eux que l’affaire d’originaux.
Le nouveau projet de réhabilitation de Fener
(avec Balat
et Ayvansaray) est beaucoup plus
radical que le précédent.
La municipalité de Fatih prévoyant de démolir la plupart des
immeubles purement et simplement, pour y
construire des appartements
à
loyer modéré (mais trop chers pour les habitants
actuels) et des centres commerciaux. Bien
entendu, un projet aussi stupide rencontre une
levée de boucliers qui a fait stopper les
travaux déjà commencés dans le quartier d’Ayvansaray.
La population y est farouchement opposée, comme
toutes les associations de protection du
patrimoine et les milieux des affaires
historiques. De nombreuses manifestations ont eu
lieu en 2012 et 2013, mais le maire (AKP) de
Fatih, n’a toujours pas rangé ce projet aux
oubliettes. Un danger bien réel pour l’avenir de
ce quartier historique et ses voisins qui sont
sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Autres temps : |
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Fener et la Corne d'Or |
Ancienne église bulgare, vers 1880 |
Inauguration de l'église bulgare 1898 |
Vue générale vers 1900 |
La Grande Ecole, 1900 |
Eglise St Nicolas du palais de Moldavie
(Boğdan Saray Aya Nikola Rus Kilisesi)
1985 |