Souvent, quand on parle de « Taksim » on fait
référence aux quartiers des alentours de la
place du même nom. Par extension, certaines
personnes utilisent aussi ce nom pour désigner
tout ou en partie,
l’avenue İstiklal
(anciennement Grand’ Rue de Péra). Cela n’est
pas correct, car officiellement le quartier de Taksim n’existe plus.
L’ancien quartier
du Taksim
occupait totalement l’ancien Champs de Mars et
incluait la place et
le
réservoir-distributeur d’eau, (le taxim),
d’où provient le nom.
De nos jours, le parc Gezi, la place
et les maisons qui la bordent au sud, font
partie du quartier de
Gümüşsuyu, tandis que
toute la zone à l’ouest de la place et du parc,
l’ancien Champs de Mars, est dans le quartier de
Kocatepe. Ce dernier quartier se prolonge contre
toute logique, jusqu’au bas de la colline, dans
le vallon de
Dolapdere. A voir la découpe des
quartiers, on se demande quand même quelle
équipe d’ânes a été préposée à cette tâche.
Evolution de la place du Taksim
entre 1932 et 1945 :

1932
A cette époque la place du Taksim n'est qu'un
rondpoint.
Un terrain de football a été aménagé dans
l'espace intérieur de la caserne,
le parc de Gezi est à l'arrière,
en
haut à gauche de l'image.
Au milieu à gauche, les premiers immeubles de
l'ancien Champs de Mars ont été construits, mais
n'atteignent
pas encore le boulevard
Tarlabaşı où se
trouve un tunnel d'évitement depuis 2013

Vers 1939-1940
La place du Taksim a été dégagée des anciens
commerces qui s'y trouvaient (premier plan)
La caserne est en voie de destruction, la partie
est a déjà disparu. Derrière la caserne on
aperçoit le
"jardin de Taxim" qui est le parc Gezi. Sous
l'inscription "Dün", le petit bâtiment blanc est
la chapelle Surp Agop et,
faisant suite, l'ancien cimetière arménien qui
sera assaini quelques années plus tard.
Dans le haut de l'image, au centre et à gauche,
le nouveau quartier
de Taksim (Şehit Muhtar) nommé présentement
Kocatepe

Vers 1939-1940
Autre angle à la même période. Au fond, le
quartier de
Gümüşsuyu et
le Bosphore

Vers 1945
La place du Taksim est complètement aménagée, on
y a laissé des espaces verts importants
et planté des arbres qui sont encore petits.
La caserne démolie a été remplacée par le
prolongement du parc Gezi (sur la gauche, hors
image)
Le rondpoint à l'origine de la place est sur la
droite, en bas.
La
place du Taksim met un terme à
Péra, le vieux
quartier latin. Autrefois, des cimetières
recouvraient une immense surface allant de la
place jusqu'à l’actuel
musée Militaire (Harbiye)
aux abords de
Nişantaşı (municipalité de Şişli).
Le lieu était appelé « Grand-Champs des Morts »
en opposition aux
Petits-Champs (Tepebaşı) qui
eux étaient à l’autre bout de Péra, proches de
l’hôtel Péra Palace
. La partie au sud de la
place, côté
Gümüşsuyu était divisée en trois
sections selon les religions : orthodoxe,
catholique, protestante. Au centre, où se trouve
le centre culturel Atatürk et jusqu’au parc Gezi,
c’était la section musulmane qui était suivie
d’une section arménienne qui longeait la colline
jusqu’au
musée
Militaire. Ces vieux cimetières
ont été assainis à partir du milieu du XIXe
siècle, sauf pour une partie du cimetière
musulman et le cimetière arménien, qui ne furent
supprimés que dans les années 1930-1940. Les
nouveaux cimetières ont été aménagés aux limites
de la ville de l’époque, dans les quartiers de
Şişli (orthodoxe,
grégorien,
arméno-catholique,
juif) et
Feriköy (protestant,
protestant
oriental,
catholique latin, orthodoxe bulgare,
musulman).
Au-delà des anciens cimetières le
domaine
impérial de Dolmabahçe fut aménagé dès le début
du XIXe siècle. Il couvrait tout le vallon de
Maçka (aujourd’hui
municipalité de Beşiktaş) et les hauteurs des
collines qui l’entourent.
Le
palais de
Dolmabahçe se trouvant juste au bord
du
Bosphore de Thrace,
les cuisines étaient au
pied de
l’actuel Swissôtel, lui-même construit
dans l’ancien parc. Les écuries étaient à
l’emplacement
du stade İnönü (Beşiktaş), tandis
que des casernes étaient plantées tout autour de Gümüşsuyu à Maçka en passant par Taksim, Harbiye
et Pangaltı.

Vers 1940 |

1940, emplacement de l'ancienne caserne et place du Taksim au fond |
 |
 |

Entrée d'İstiklal Caddesi, juste avant
le consulat de France |

Funérailles d'un notable, entrée d'İstiklal Caddesi |
Inutile de préciser que l’immense espace du
domaine impérial a subi de grosses perturbations
au cours du XXe siècle. La plupart des bâtiments
d’origine ont survécu, mais ce sont les parcs
qui ont diminué de volume au profit de
constructions pas toujours réussies, parfois
carrément ratées et même illégales.
Les anciennes écuries ont laissé la place au
stade İnönü, tandis que dans le haut du vallon
ont y a construit un palais des expositions, un
théâtre de plein-air et des hôtels de luxe à
cheval sur les anciens cimetières et sur le
domaine impérial.

Vers 1935 |

Vers 1950-1955 |

Années 1950 |

Fleuristes du Taksim, vers 2000
|

2013 |

2013 |
Les
casernes ont subsisté à l’exception de celle du
Taksim qui a été détruite en 1940 et dont
l’espace a été aménagé par l’urbaniste Henri
Prost en jardin public, en prolongement à celui
qui existait déjà au nord (parc Gezi). Les
autres casernes ont été transformées en
universités, sauf celle d’Harbiye qui est
devenue le musée Militaire.

Août 2013 |

Projet du gouvernement |

Projet du gouvernement |

Projet du gouvernement
|
La
place-même du Taksim existait bien avant la
destruction de la caserne, dans ses limites
actuelles. La direction du trafic a été modifié
à plusieurs reprises et en 2013 elle est devenue
totalement zone piétonnière, grâce aux
percements de plusieurs tunnels. L’écoulement de
la circulation se fait donc plus facilement et
laisse tout l’espace de la place du Taksim aux
piétons. Malheureusement, les arbres et la
verdure n’ont pas été prévus dans l’aménagement
de la place, ce qui lui donne un air bétonné
d’ex-RDA.

Emplacement de l'hôtel Marmara sur la place du Taksim, vers 1940 |
Description des
alentours de la place :
L’avenue İstiklal, artère principale du
vieux Péra et l’avenue Sıraselviler
remontant depuis le
Bosphore
et
Cihangir,
débouchent toutes deux sur la place,
près du monument de la République,
réalisé par l’architecte Canonica.
A l’ouest,
la fontaine du Taksim est
reconnaissable à ses cars de police qui
sont toujours garés devant. C’est un
long mur en pierre surmonté de
publicités racoleuses. Il s’agit en fait
d’un réservoir d’eau d’où se faisait la
répartition (taksim en turc) des eaux
vers différents quartiers.
Au nord, l’avenue Cumhuriyet file vers
la mairie de
Şişli. A sa gauche, se
trouvaient les champs de manœuvre de
l’armée. Ils étaient attachés à la
caserne du Taksim. Et furent aménagés en
quartier dans les années 1930. La zone a
une concentration d’hôtels de bon niveau
et est piétonnière depuis 2007.
L’hôpital
Surp Agop et
l’hôtel Divan
font la limite entre les deux
municipalités.
|

Construction de l'opéra - centre culturel Atatürk, années 1960 |
Toujours au nord, le fameux parc Gezi
occupe l’espace (pour le moment), tandis
qu’à l’est de la place on trouve le
centre culturel Atatürk avec l’opéra,
dont l’architecture est une catastrophe.
Le gouvernement l’a fermé en 2011,
promettant une rénovation qui se fait
attendre.
A droite de centre culturel (AKM),
commence le quartier de Gümüşsuyu avec
ses belles maisons bourgeoises du XIXe
et
le palais des Oiseaux (consulat
d’Allemagne). Un peu plus bas sur
l’avenue İnönü se trouve l’hôpital
militaire datant de la
période ottomane et toujours en
activité.
|
Toujours à
Gümüşsuyu, l’hôtel du Parc (Park
Oteli), était à l’origine la résidence de
l’ambassadeur d’Italie, dit le “Baron Blanc”. A
son départ, il céda la demeure au sultan
Abdülhamit qui en fit don à son premier ministre
Tevfik Pacha. Cependant, ses descendants ayant
décidé de se lancer dans les affaires, la
résidence fut transformée en hôtel commercial.
Le Parc Hôtel était un des meilleurs de son
temps. Il fut malheureusement démoli en vue de
reconstruire un nouvel hôtel aux dimensions d’un
gratte-ciel. Heureusement, ce projet échoua à la
suite des pressions exercées par les
associations protectrices du patrimoine. Pendant
plus de 20 ans plusieurs étages déjà construits
donnaient une silhouette affreuse au quartier.
Les structures existantes ont été utilisées pour
la construction d’un hôtel qui a ouvert ses
portes en 2013.

Le parc initial de Gezi appelé jardin du Taxim |

Parc Gezi vers 1950 |

Parc Gezi vers 1950 |

Parc Gezzi en 2012 |
L’affaire Gezi
Le parc Gezi n’est ni l’un des plus beaux de la
ville, ni l’un des plus grands, pourtant les
Stambouliotes y sont attachés comme à tous les
espaces verts qui ne sont pas assez nombreux
dans la métropole du Bosphore.
Depuis plusieurs années, la mairie (AKP)
de Beyoğlu a le projet de récupérer cet espace
public pour y construite un centre commercial.
L’idée de reconstruire l’ancienne caserne
ottomane qui occupait les 2/3 du site jusqu’en
1940, a déclenché une vive contestation auprès
de la population. Selon les opposants aux
projets, il était clair que la municipalité
allait saisir un bien public pour le vendre à
des promoteurs, supprimant du même coup le
poumon du quartier. La vente de biens nationaux
n’était pas une première : des bâtiments
publics, des forêts et des parcs et même le pont
du Bosphore, ont été vendus par le gouvernement.
Tandis que des projets pharaoniques sont mis en
œuvre. On a accusé le parti au pouvoir de faire
preuve de clientélisme, tout en écartant les
opposants d’un quelconque pouvoir.
En 2011, un tribunal administratif n’avait pas
accordé l’autorisation au projet de Gezi, mais
en mai 2013, le contraire fut proclamé. Les
opposants qui occupaient le parc ont été délogés
sans ménagement le 28 mai, ce qui déclencha la
colère des Stambouliotes qui vinrent par
dizaines de milliers occuper à nouveau les
lieux. Le gouvernement répondit par la force et
les manifestations qui éclatèrent d’abord dans
toute la ville, puis dans tout le pays, furent
réprimées dans une violence policière inouïe
pendant tout le mois de juin.
Les bons
et les méchants (tome II) |
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Les
manifestations continuèrent sous diverses formes
les mois de juillet, août et septembre à une
cadence un peu ralentie. Le parc Gezi était la
cause initiale, mais rapidement la contestation
s’est dirigée contre l’autoritarisme du
gouvernement AKP et les restrictions de liberté
qui s’instaurent.
Si un
tribunal a donné raison aux opposants du projet
de Gezi en interdisant sa réalisation, il est
fort probable que le gouvernement arrive à ses
fins un jour, comme il l’a d’ailleurs annoncé
publiquement.
L’aménagement du parc et de la place du Taksim
passe, selon le gouvernement, par la
reconstruction de la caserne ottomane, mais
aussi par la destruction du centre Atatürk et
par l’édification d’une mosquée. L’image de la
place du Taksim étant dominée par les églises du
quartier de Péra et une modernité turque (AKM-opéra)
qui ne convient pas aux islamo-conservateurs, il
est grandement temps selon eux, de la changer.
Malgré le courage et la détermination de la
population stambouliote, surtout de la jeunesse,
on peut quand même craindre le pire pour le parc
Gezi à l’avenir.

Alerte au gaz ! |

Contestation passive |

Vendeur de souvenirs, place du
Taksim |

Surtout bien ce protéger |
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