Même
si l’on manque de documents retraçant clairement
l’origine de cette famille juive stambouliote,
on peut dire avec certitudes qu’elle vient
d’Espagne d’où elle fut expulsée, comme tous les
autres juifs et musulmans en 1492.
On trouve des traces de la famille Camondo dans
le ghetto de Venise, puis dans les environs de
Constantinople (Ortaköy)
en 1758. Un certain Haïm Camondo possédait un
négoce en 1775 dans la capitale ottomane.
Il
semblerait que cette famille eut des problèmes
avec le pouvoir ottoman, et bien que de
nationalité austro-hongroise et donc sous la
protection de la capitulation
d’Autriche-Hongrie, elle dut fuir la capitale
pour
Chypre. Peu de temps après, on la retrouve
dans le port austro-hongrois de Trieste, tandis
qu’un certain Abraham Camondo est l’un des
notables de la communauté turque de Vienne, à la
même période. La famille Camondo est de retour
dans la capitale ottomane au début des années
1780. Haïm a trois enfants, Isaac, Ventura et
Abraham Salomon né en 1781.
Le 25 mai 1804, Abraham Salomon épouse Clara la
fille de Haïm Sebetay Yuda Levy, dont il eut un
unique enfant, Salomon-Raphaël (1810-1866).

Les fameux Escaliers Camondo sont séparés de l'ancienne
banque Isaac Camondo & Cie, que par un seul immeuble (sur la droite),
les anciennes
postes ottomanes. Ils relient la rue Voyvoda à la rue Kamondo à Galata
C’est
Isaac qui augmentera considérablement la fortune
familiale en se faisant “saraf" (changeur /
prêteur), en suivant l’exemple d’autres familles
juives telles les Adjiman, Gabay ou Carmona.
Après la disparition d’Isaac en 1832, sans
enfants, c’est Abraham Salomon qui sera le seul
héritier de la banque
Isaac Camondo & Cie.
Abraham Salomon a largement diversifié ses
activités, puisqu’il était propriétaire de
nombreux magasins à
Galata et
Üsküdar, 1 fabrique de brique et 1 fabrique
d’huile d’olive à Çorlu.

L'ancienne banque Camondo, Galata
Le sultan Abdul Aziz accorda à son banquier,
l’autorisation de posséder des biens
immobiliers, ce qui était exceptionnel pour un
étranger (les Camondo étaient toujours de
nationalité austro-hongroise). Proche du sultan
Abdul Hamit II, le successeur d’Abdul Aziz, le
firman garantissant ce droit à Abraham Salomon
Camondo fut renouvelé.
Après avoir largement financé la guerre de
Crimée (1853 – 1855), Abraham Salomon Camondo
fut décoré de l’Ordre de l’İftihar, par le
sultan Abdul Hamit II. Dans les mêmes années, il
fut désigné par la communauté austro-hongroise
de Constantinople pour la représentée aux noces
de l’empereur François-Josef et d’Elisabeth
(Sissi). Proche également du grand vizir
Fuat Pacha, Abraham Salomon Camondo avait
une influence certaine dans la politique
impériale. Il pouvait aussi intervenir en faveur
des communautés juives menacées, surtout à
l’extérieur de l’Empire (Serbie, Grèce). Grand
philanthrope, il fit de nombreuses donations aux
pauvres de toutes confessions, mais il fit aussi
construire un grand nombre de synagogues,
d’écoles, d’orphelinats et d’hôpitaux, à
Istanbul et dans les villages juifs du
Bosphore (Kuzguncuk,
Ortaköy,
Yeniköy) ou ailleurs dans le pays :
Izmir, Lindos, Salonique,
Brousse,
Çanakkale,
Kırklareli, etc.
Dans les années 1860, la famille Camondo dut
faire face à de réels problèmes avec la
communauté séfarade conservatrice. En effet, le
clan Camondo entendait réformer l’instruction
publique israélite, en introduisant le turc et
le français dans les écoles. Jusque là, seuls
l’hébreu et le judéo-espagnol y étaient
enseignés, ce qui était un réel obstacle pour
l’avancement des juifs dans l’administration (de
langue turque) ou le commerce (de langue
française). Les religieux s’opposèrent vivement
aux réformes, ce qui provoqua une crise ainsi
que l’emprisonnement d’un rabbin qui avait été
jusqu’à dire que la famille Camondo encourageait
le prosélytisme chrétien, par le biais de la
langue française. Un groupe d’intellectuels
progressistes juifs originaires de Livourne,
appelé les Franco, luttait également
contre les conservateurs. Abraham Bohor Camondo,
le fils aîné de Salomon Raphaël, devint chef de
file de ce mouvement. En 1865, les Franco
firent sécession en ce plaçant, comme l’avait
fait autrefois les
Marranes du Portugal, sous la protection des
Italiens de Péra-Galata. Ainsi, on vit naître la
“Comunita israelitico-straniera di Pera sotto la
protezione Italiana” ainsi qu’un nouveau lieu de
culte, la
synagogue italienne de Galata. Cela donnait
suite à la fondation régionale de l’Alliance
Israélite Universelle, créée deux ans
auparavant, par le même Abraham Bohor, qui ne
renonçait pas à faire évoluer la communauté
séfarade de la capitale.

Synagogue de Yeniköy, financée par la famille
Camondo
1866 fut une année éprouvante pour le clan
Camondo. La mort prématurée de Rebecca à Nice,
la seule fille de Salomon Raphaël, mariée à
Michel Halfon et mère de quatre enfants, suivie
de la mort de Clara née Levy, puis de Salomon
Raphaël ébranla sérieuse la famille, et c’était
sans compter l’hostilité d’une partie de la
communauté séfarade à leur encontre.
Désormais, la famille Camondo était composée de
:
 |
Abraham Salomon, le patriarche. Son petit-fils
Abraham Bohor (1829 – 1889), marié à Regina
Baruch, dont il eut deux enfants : Clarisse
(1848 - 1917, épouse Léon Alfassa, mère de
Rachel, Albert, Georges, Alice, Maurice et
Marguerite) et Isaac (1851 –1911). Son second
petit-fils Nissim (1830 – 1889), marié à Elise
Fernandez, dont il eut un enfant : Moise (1860
–1935). Les enfants de Rebecca : Regina (1851 -
1922), Salomon (1854 -1923), Hortense (1858 -
1932) et Esther (1859 - 1941). |
En 1867, Venise devint possession italienne et
les Camondo passèrent de citoyens
austro-hongrois à citoyens italiens. La même
année, le roi Emmanuel II de Savoie
reconnaissant pour le financement des chemins de
fer italiens par Abraham Salomon Camondo, lui
donne le titre de comte. Nissim Camondo,
l’obtiendra 3 ans plus tard.
Bien que l’introduction du français et du turc
dans les écoles juives d’Istanbul fut,
dorénavant, chose faite, la famille Camondo
rencontrait toujours des hostilités de la part
de la frange conservatrice de la communauté
séfarade. En 1869, sur décision d’Abraham Bohor
et de Nissim, la famille de Camondo,
s’installait à Paris, tout en maintenant le
siège de leur banque à
Galata.
Croyant la France avant-gardiste et sa
communauté juive progressiste, les Camondo
pensaient arriver dans un pays évolué où leurs
idées et leur commerce pouvaient s’y développer.
Au lieu de ça, ils arrivèrent dans un pays
ravagé par la guerre et nettement hostile aux
juifs. Quant à la communauté juive, elle était
bien plus progressiste que celle de la capitale
de l’Empire, surtout afin de s’ouvrir aux
influences qu’elle pouvait avoir dans l’économie
et dans le gouvernement. Ce qui allait être un
changement radical pour les Camondo, c’était
l’antisémitisme ouvert des Français. Dès leur
arrivée et jusqu’à leur fin, les Camondo furent
l’objet de critiques antisémites dans les
journaux et dans les cercles. La donation à
l’Etat français de la collection Isaac de
Camondo (1911), le sacrifice pour l’armée
française de Nissim, fils de Moise et premier
Camondo de nationalité française, la donation de
la fabuleuse collection Moise de Camondo à
l’Etat en 1935, n’y changeront strictement rien.
Pour les Français, les Camondo restaient
des juifs du Levant. Si quelques fois on les
comparait à la fameuse famille Rothschild,
c’était bien pour la qualifier de Rothschild du
Levant. Peu de gens qualifiaient en même temps
les Rothschild, de « Camondo du Ponant »…
En 1873, Abraham Salomon décéda à l’âge de 93
ans. Sa dépouille fut rapatriée et l’enterrement
se déroula en grandes pompes au cimetière juif
de
Hasköy. Pachas, vizirs, imams, prêtres et
toute la population d’Istanbul assistèrent aux
funérailles.

Palais Camondo, Paris
A la fin du XIXe siècle, la famille Camondo
avait fait prospérer les affaires en France et
ailleurs. Ainsi on retrouve les Camondo à la
tête de compagnies internationales, comme
Paribas, les Ciments Portland, la Banque
Impériale Ottomane, les Raffineries d’Egypte, la
Société du Naphte de Bakou, la Compagnie des
Eaux de Constantinople, les Chemins de fer
portugais, le Crédit franco-canadien et tant
d’autres. Mais les Camondo restent la proie des
antisémites, notamment sous la plume d’Edouard
Drumont ou sous celle d’Auguste Chirac. Pourtant
en 1894, alors que les choses paraissent si
incertaines dans leur pays d’adoption à la
vieille de l’Affaire Dreyfus, ceux que les
Parisiens appellent les “Comtes des mille et une
nuits” transfèreront le siège de leur banque de
Constantinople à Paris. Ce qui deviendra la
succursale stambouliote, ne fermera cependant
ses portes, qu’après la première guerre
mondiale.
Moise de Camondo épousa Irène Cahen d’Anvers
(1872 – 1963), dont il eut deux enfants, Nissim
(1892 – 1917) et Béatrice (1894 – 1943) et
divorça en 1901. Isaac de Camondo eut deux
enfants illégitimes avec Marie-Louise de Lancey.
Il décéda en 1911, sans les reconnaître.

Le mausolée Avram Camondo, Hasköy |
Le lieutenant Nissim de Camondo était pilote et
fut abattu en 1917 en Lorraine (Allemagne).
Béatrice de Camondo épousa Léon Reinach. Ils
eurent deux enfants : Fanny en 1920 et Bertrand
en 1923.
Moise de Camondo décéda peu de temps avant la
Deuxième Guerre mondiale en léguant son hôtel
particulier près du parc Monceau et tout son
mobilier, à l’Etat français.
En 1943, les quatre membres de la famille
Reinach, seuls héritiers de la fortune Camondo,
furent déportés à Auschwitz et Birkenau
(Pologne), par Drancy.
Fanny est morte le 31 décembre 1943, Bertrand le
15 avril 1944, Léon le 12 mai 1944 et Béatrice,
le 4 janvier 1945. |
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